Pouvons-nous resocialiser le deuil?
Hier, je suis allée au cimetière. J’y ai passé un moment à me recueillir auprès de l’épitaphe d’un être cher et à contempler les lieux. Ces espaces sont chargés d’histoire, de mémoire et d’émotions. Mais durant ma promenade, je n’ai croisé presque personne. J’ai pleuré, seule. Et je me suis demandé : avons-nous perdu notre lien avec ces endroits? Ces lieux magnifiques, remplis de récits de vie, sont-ils en train de tomber dans l’oubli?
J’ai attendu un moment, espérant croiser quelqu’un. Puis j’ai vu une femme au loin. Elle pleurait, légèrement courbée, et quand elle m’a aperçue, elle s’est excusée, presque gênée, en dissimulant son mouchoir.
Cela m’a frappée : il semble que nous ayons perdu nos repères face à la mort. Nous avons oublié comment en parler, comment l’apprivoiser, et même comment habiter les espaces qui lui sont dédiés. Peut-être est-ce notre désir de vie absolue, cette quête incessante de bonheur, qui nous éloigne de la profondeur et de la richesse que peuvent offrir nos cimetières.
Aujourd’hui, nous cherchons des sourires et des anecdotes joyeuses, ce qui peut être beau, mais n’oublions pas que le mot deuil vient du latin dolor, qui signifie douleur. Et cette douleur peut prendre du temps à s’apaiser. Si nous n’avons plus d’espaces ni de moments pour exprimer nos émotions, le deuil peut devenir encore plus difficile à vivre.
Autrefois, le deuil était une affaire collective. On offrait une soupe, on se soutenait mutuellement, et on allait au cimetière ensemble. Ces lieux n’étaient pas que des endroits de tristesse; ils étaient des espaces de connexion, de partage et de réconfort. On avait des oreilles pour écouter, des yeux pour accueillir les larmes, et des mots, maladroits parfois, mais sincères, pour consoler.
Et si nous renouions avec cette pratique? En ce moment, c’est l’été. Les chemins des cimetières ne sont pas enneigés; c’est une période propice pour y retourner, pour se recueillir, se souvenir, et s’offrir un moment pour explorer ce qui se passe en nous. Prenons le temps de visiter ces lieux qui racontent l’histoire de nos ancêtres ou, dans leurs versions modernes, où des arbres grandissent sous les cendres de ceux que nous aimons.
Croisons le regard des autres visiteurs, saluons-les, reconnaissons dans leurs gestes qu’ils partagent, eux aussi, l’expérience de la perte. Et pourquoi ne pas oser poser une question simple : « Quel était son prénom? » Offrons un mouchoir à celui qui en a besoin. Ces petits gestes nous rappellent que le deuil n’a pas besoin d’être vécu en solitude.
Ensemble, réinvestissons ces espaces conçus pour nous rassembler dans la mémoire et l’émotion. Redonnons au deuil une place collective, empreinte de douceur et de compassion.
Josée Masson,
Fondatrice et directrice générale de Deuil-Jeunesse
